Majella : de Caramanico Terme au Rif. di Marco
Ce matin, nous commençons par nous rendre au Centre des Visiteurs du Val de l'Orfento pour qu'on nous délivre le fameux sésame qui permet d'entrer dans cette réserve naturelle "stricte".
Ce Centre est un mélange des genres : il abrite un détachement du Corpo Forestale (la 5e force armée de l'état italien, spécialisée dans la défense du patrimoine agro-forestier), un musée sur l'environnement du parc, et bien sûr le Centre des Visiteurs. Surprise, ce dernier est tenu par une société privée (Majambiante) qui commercialise des visites guidées du parc.
D'après notre interlocutrice, cette permanence - tenue à titre gracieux - leur permet d'identifier les besoins des visiteurs. Je n'irais pas jusqu'à dire que le laisser-passer (requis et contrôlé par le Corpo Forestale) n'est qu'une excuse qui oblige les randonneurs à passer systématiquement à leur boutique, mais le fait que ce soit cette société qui les délivre (gratuitement, encore heureux) fait penser à un abus de position ou un marché protégé, sans concurrence...
Ceci étant dit, le permis en poche, nous pouvons commencer notre randonnée. Notre objectif du jour est de suivre le fond du Valle Orfento jusqu'à son extrémité, et de là, remonter vers les crêtes et le Refuge di Marco pour y passer la nuit - une randonnée indiquée pour une durée de 8h30 depuis notre point de départ, le pont de Caramanico Terme. Or, il est déjà 10h15 quand nous partons, et la nuit tombe aux alentours de 19h00... une course contre la montre s'engage !
Le sentier commence par une belle vollée de marches à descendre, pour rejoindre le fond de la gorge que le pont domine. Là-dessous, la lumière faiblarde de cette journée sans soleil a encore plus de mal à s'infiltrer, mais le charme du lieu opère malgré tout : le bruit du torrent qui roule contre les falaises, l'exhubérance de la végétation, les petits ponts de bois branlants... nous nous félicitons d'être partis du pont plutôt que du village, ce qui nous aurait fait manquer cette partie du sentier, la plus belle à vrai dire.

Comme attendu, le sentier monte doucement le long du torrent, mais les gorges s'évasent, et les arbres les masquent à notre vue : le reste de la matinée nous fait évoluer dans une forêt sans cachet d'arbres trop jeunes et aux essences inattendues - on y voit même des figuiers sauvages.
Par contre, nous tombons nez à nez avec une bestiole que nous n'attendions pas, mais que le temps pluvieux invite à sortir : une salamandre ! Nous en croiserons 5 ce matin dans les sous-bois, le plus souvent installées carrément au milieu du chemin : impossible de les rater.

Il est maintenant 13h15, et nous voici à l'Ermitage de S. Onofrio all'Orfento, indiqué à 3h10 de route depuis notre point de départ. Nous avons donc globalement respecté le temps indiqué, et vérifié qu'il n'inclut pas de pauses (comme de coutume) car même si nous avons pris notre temps, nous ne nous sommes pas arrêtés. Nous en déduisons que toute pause risque de nous mettre dedans, mais prendre le temps de manger, que diable, c'est important, et nous nous installons dans l'étrange ruine de l'ermitage pour saucissonner.

Un panneau aposé sur la falaise de l'ancien bâtiment trogodytique donne quelques informations sur le lieu, même si elles sont bien minces : la date de son origine est inconnue, et il n'est pas mentionné par Célestin V, le moine-ermite devenu pape qui a restauré plusieurs des ermitages de ces vallées (et pour la petite histoire, le premier pape a avoir démissionné en 1296).
Le bâtiment serait donc plus récent. On sait juste qu'il mesurait une quinzaine de mètre de haut et qu'il n'était déjà que ruines au début du 20e siècle, quand les champs autours étaient encore cultivés et qu'il servait d'abri sommaire pour l'été. C'est à cette date qu'un bûcheron aurait bousillé la porte pour mieux faire passer ses chargement de bois tirés par des mules, ruinant définitivement l'édifice...
Bref, cette histoire nous donne de quoi méditer pour nos prochaines heures de marche, et nous repartons : le refuge est indiqué à 5h50 (une erreur sans doute, car je calcule plutôt 5h20), et il est 13h45 : le jeu contre la montre se fait pressant, car cela ne nous ferait pas vraiment rire d'arriver à la nuit tombée !
Justement, le chemin commence à se raidir plus sérieusement, et nous attaquons la montée sous le couvert de la forêt. En chemin, nous ne trouvons plus aucune pancarte pour nous rassurer - ou nous faire forcer le pas ! Certes, nos sacs à dos pèsent bien plus lourds qu'à notre habitude dans les Dolomites, mais beaucoup moins qu'il y a quelques jours au parc des Abruzzes - peut-être moins de 10 kg ? - alors nous avons l'impression de bien avancer.
Une petite bruine nous fait sortir les Kways, mais nous voilà enfin passés au-dessus des falaises, et parfois nous pouvons apercevoir plus bas quelques roches tombant à pic vers la vallée. Il est 16h30 quand nous atteignons ces pancartes.

Plus que 30 minutes ? Nous aurions donc "torché" une montée de 4h50 en 2h45 ?! Après tout, pourquoi pas, on a quand même les gambettes habituées à des montées bien plus sévères par chez nous... c'est surtout sur le plat qu'on a l'impression de se traîner !
Nous prenons le temps de sortir du chemin vers la fontaine "Fonte Centiata" qu'on nous a recommandé (bien sûr, non indiquée sur notre carte), avant de ramasser du bois et de repartir ainsi chargés pour rejoindre le refuge. Ce dernier est une petite baraque de pierres bâtie à l'abri des vents, ce qui ne la rend visible à son approche qu'au dernier moment. La salle qui sert d'abri ouvert en permanence est très rustique : pas de fenêtre, une table et ses bancs, une vieille table branlante, un peu de bois et un âtre.

Il est 17h, il fait 13° dans la bicoque, et on se met immédiatement à la tâche : allumer le feu et l'entretenir. Nous arrivons malgré tout très rapidement à la conclusion que l'ambiance ne se réchauffera pas de la soirée : nous réorganisons donc l'intérieur pour approcher le banc au plus près du feu, et préparer juste derrière nos lits sur le sol protégé d'une bâche.
Avec la source d'eau à 30 minutes de marche aller/retour, nous devons nous restreindre un peu sur l'eau, mais nous nous offrons quand même le luxe d'une petite toilette à l'eau chaude, avant de cuisiner une soupe puis des nouilles sautées japonaises. La soirée s'étire dans le noir glacial de la pièce, et pour nous réchauffer pendant qu'on papotte ce sont nos pieds qu'on fait maintenant griller à quelques centimètres du foyer...
Quand nos paupières deviennent vraiment trop lourdes, nous finissons par abandonner la chaleur du feu pour nos duvets en plumes d'oie. Antoine s'endort aussitôt, contrairement à moi qui commence à entendre de drôles de bruits. Ce ne serait pas un chien qui aboie là ? Quelqu'un serait-il arrivé dans le refuge ? C'est sûr, quelqu'un déplace des tables dans la pièce d'à côté !... Mais ce n'est que la respiration d'Antoine qui se déforme sur la voûte de la pièce de plus de 5 mètres de haut et génère des sons inquiétants...





































