lundi 11 sept. 2023, 21:32
Lundi 11.
Matinée tranquille chez Maria, avec qui nous mangeons à nouveau au déjeuner. Début d'après-midi, il est temps de se secouer : avec ce grand beau temps qui persiste, nous avons décidé de dormir en altitude - en très haute altitude. Après quelques courses, nous partons nous garer au-dessus de Cencenighe. Déjà que je n'aime pas les petites routes étroites, ça me stresse particulièrement avec notre fourgon sans visibilité à l'arrière de devoir faire des manoeuvres... mais arrivés à la « fraction » où nous avions stationné les années passées pour cette randonnée, les choses ont changé et cela n'annonce rien de bon. D'abord un parking est proposé en contre-bas du bled, avec un accès inacessible où je m'engage - tout ça pour voir qu'il est déjà complet. Marche arrière toute pour remonter la pente et revenir à la route (attention au talus !). Un peu plus haut, un nouveau panneau interdit la circulation aux non-résidents - on imagine qu'ils ont du être envahis de touristes pour en arriver là. Heureusement, juste après le panneau, deux places de parking libres : je brave donc l'interdiction pour quelques mètres, et Partner a trouvé sa place pour la nuit. À nous de trouver la nôtre, maintenant !
Nous finalisons nos sacs à dos, bien plus lourds que d'habitude - il y a à manger pour ce soir et demain matin, 2 kg d'eau chacun, de quoi se tenir au chaud en soirée, et les gros duvets. Armés de nos bâtons - qui sont d'une grande aide quand le dos est aussi chargé, et la pente aussi raide - nous attaquons la randonnée, annoncée pour 4 heures de temps sur le panneau dans le village. Pour l'avoir déjà faite plusieurs fois dans le passé, nous savons qu'il faut une forme physique respectable pour respecter le temps annoncé. Avec notre chargement et notre forme actuelle, qu'en sera-t-il ?
Juste après le village, le sentier n'est tranquille que sur une centaine de mètres, ensuite il taille droit dans la pente au coeur de la forêt de sapins. Après quelques minutes, nous croisons un jeune couple, visiblement des locaux. Visiblement ? Oui, ils ont l'air franchement « trop » détendus : énorme sac de couchage en bandoulière, mini sac dans le dos, pas sautillant, pied léger et rapide... Nous continuons, mais j'aurais bien aimé discuter du nombre de personnes qu'ils ont croisé là-haut. Nous sortons de la forêt, nous voici arrivés au passage dans les éboulis - j'en ai un vague souvenir. Par contre, ensuite le chemin a été dévié : ici aussi, la tempête Vaia a eu des conséquences. Coup dur : après une montée aussi sèche, nous sommes contraints de suivre un sentier en descente. Il rejoint une large anfractuosité dans la roche qui sert de lit à un torrent. Des câbles - et le peu d'eau en cette saison - permettent de traverser l'endroit sans encombre.
Et hop, le sentier remonte sèchement. Dans ce tronçon nous doublons un jeune homme un peu grassouille et très essoufflé, visiblement beaucoup trop chargé (il a même une tente). Sitôt après, nous arrivons à un passage un peu olé olé : le sentier, défoncé, se colle à la paroi d'un côté, et devient quelque peu vertigineux de l'autre. Vue sur cascade qui tombe loin en dessous... on comprend bien qu'il ne faut pas râter son coup. Regarder en haut : ça passe, puis on traverse le torrent - celui qui forme la cascade juste après -, et là deux jeunes filles nous demandent où en est leur ami... Dans ma tête, ça compte : eux 3, nous 2, restent déjà plus que 4 places "libres" dans le bivouac qui ne compte que 9 places. Ça sent le roussi. Je me dis qu'heureusement, le gars a une tente.
Encore un effort, nous passons près de ancienne baita toujours vide, et plus loin nous arrivons finalement à la conque en altitude, là où il y a effectivement parfois des bergers et leurs animaux, en saison. Aujourd'hui, il y a un groupe important de djeunz, tous équipés de gros sacs - sans doute les amis des trois autres que nous avons doublés. Ils semblent équipés eux-aussi pour dormir en tente, mais bon, mieux vaut pas risquer et les distancer : pause rapide pour grignotter quelques biscuits, et on enchaîne. Là, ça monte au raz des falaises. Dans le sens de la montée ce n'est pas très vertigineux mais ça demande un peu de cardio. Devant nous, là-haut, nous apercevons d'autres randonneurs. Aïe aïe aë !
Arrivés à la fin de la montée, nous sommes récompensés par une belle vue sur l'Agner. Il ne reste qu'une quinzaine de minutes quasiment à plat, en corniche. Le meilleur passage de la randonnée... qui débouche sur le vaste terre-plein d'altitude où se situe le bivaco Bedin. À ma connaissance, c'est le seul bivouac qui soit posté à un endroit « final » et non pas en appui pour commencer une course (d'alpinisme par exemple) plus engagée le lendemain matin. Non, ce bivouac est son propre objectif : il est en position panoramique, c'est lui qu'on vient chercher, pas une autre balade. Et aujourd'hui, il y a visiblement pas mal de monde qui est venu le visiter... rapidement, quelqu'un vient nous voir et nous saluer, et nous annoncer dans la foulée qu'il n'y aura pas de place pour l'un de nous deux - oups. Je me demande déjà s'il va falloir que nous redescendions, mais un vieux bourru pique un matelas dans le bivouac (!), et annonce qu'il va dormir en tente. Cela résoud l'équation, et nous posons nos sacs dans la cahute pour réserver nos places. Deux couvertures ferons l'affaire pour remplacer le matelas...
À part le vieux bourru accompagné d'un ami (lui aussi en tente, mais beaucoup moins bourru), il y a ici un couple trentenaire de la plaine (Padoue ? Venise ? je ne sais plus - très bobo branchouille avec mille tenues sportives neuves et assorties, et accessoires en tous genres de marque), deux jeunes trentenaires qui voyagent chacun seul à la root, mais qui se sont en quelque sorte trouvés (l'un d'eux est un habitué, il a une caravane au camping de Falcade, demain soir il dormira à forcella Cesurette), un couple de jeunes retraités qui n'est peut-être pas un couple dans la vie (Mme râle que le panneau n'indique que 4h, et qu'il devrait indiquer 6h, le temps qu'elle a mis, elle... - pour notre part, nous avons mis exactement 4h, mais bon ! est-ce bien nécessaire de lui faire remarquer ?), le gars - cinquantenaire ? - qui nous a accueilli le premier (il a quelques mots de français), et nous bien sûr : nous sommes 11, pour 9 lits. Plus tard en soirée, une bande de trois ou quatre écossais débarqueront - nous aurons juste le temps de savoir qu'ils viennent tout juste d'être diplomés, et qu'ils sont partis fêter ça... ici.

À la nuit tombée, les italiens ont décidé de faire du feu, et crâment sans vergogne du pino mugo mort / sec qui a été préparé par de précédents campeurs - et surtout, ils ne reconstituent pas le stock pour les suivants. Mr bourru explique d'un ton assuré que c'est le boulot du CAI que de fournir le bois. Ben voyons, ils sont là pour servir des touristes qui ne paient rien, c'est bien normal dans sa petite tête. Je suis un peu blasée par ce genre de discours, et je comprends que les locaux soient insupportés par ce genre de gars à qui tout est dû. Nous passons la soirée dans le bivouac, dans sa petite salle panoramique, autour de la table, à discuter avec les retraités, et en fait surtout à écouter, car dès que des gars de la plaine arrivent ils discutent tous en patois - merci les gars. Du coup, un peu obligés, on fait les francesi, et vivons notre vie entre nous. Dans le livre du bivouac mis à disposition des passants, un petit dessin attire notre attention : quelqu'un a décrit le passage d'hélicoptères qui enchaînent les cîmes voisines pour que leurs passagers puissent faire autant de selfies que de sites "emblématiques"... Ceux qui passent ici sont de toutes les nationnalités. Quelqu'un nous dis que ce bivouac a été élu parmi les 5 plus beaux du monde, quelque chose comme ça. Et dire que nous vivions au centre du monde... et qu'on ne le savait pas.

Mardi 12.
Le lendemain matin, les premières lueurs du ciel font sortir tout le monde très rapidement du bivouac. À la petite aube, le panorama est incroyable, et il n'y a qu'à attendre sagement que la lumière gagne sur la nuit, puis que les premiers rayons du soleil dépassent de la ligne d'horizon pour illuminer les montagnes. Certains font du zèle, et placent leurs téléphones ou autre gadget pour faire des timelaps, d'autres se mitraillent en selfies, ... personne ne voit les écossais, et personne n'a vu la bande de djeunz arriver - tiens oui, où sont-ils ? Rapidement, trop rapidement, le jour est bel et bien là, et le site perd un peu de sa magie et de son intérêt. Pour certains, comme celui qui nous avait salué en premier, même l'aube n'avait pas d'intéret : un mince nuage mal placé rendait "LA" photo magique impossible, celle du lever de soleil impeccable, et donc sa présence à lui inutile : il se barre avant tout le monde. Nous prenons un peu notre temps, grignottons un petit déjeuner - et les italiens se font du café, évidemment.


Finalement, nous repartons nous aussi. Après le passage en corniche, voilà que nous retrouvons les jeunes : leurs tentes sont plantées juste là, sur un petit pré d'où il ne faut pas déraper, juste en sortie du sentier vertigineux. Ils sont réveillés, et je leur dis d'aller faire un tour sans sacs au bivouac, qu'ils ne sont plus très loin : ce serait dommage de ne pas aller au bout. Puis, nous entamons la descente... arrivés au niveau de la ferme, la tranquillité du matin est perdue : un énorme hélicoptère de l'armée, le genre à pouvoir transporter des troupes, fait des manoeuvres d'approche à répétition autour de nous, sans doute pour entraînement vu qu'il ne se pose jamais.
Plus bas, au passage vertigineux au-dessus de la cascade, je rate un peu mon positionnement pour passer le bout de sentier défoncé, et mon sac râcle la roche : la bouteille d'eau qui était placée dans la poche extérieure de ce côté-là en est éjectée, et tombe dans une petite bassine en contre-bas... j'aimerais bien la récupérer, mais emportée par le courant, il ne faut pas 10 secondes pour qu'elle rejoigne la cascade... adieu plastique. Je viens de perdre 10 points de karma pour pollution directe. Argh. En même temps je préfère que ce soit la bouteille plutôt que moi qui plonge !
Le reste de la descente se fait sans soucis. Arrivés au village, Partner nous attend bien sagement, à côté d'elle une autre voiture a pris place. D'autres espaces sont eux-aussi envahis de voitures. Nous nous promettons de partir de plus bas la prochaine fois. Nous avons le reste de la journée devant nous : direction le val San Lucano déjà pour pique niquer, puis pour pour se balader près du torrent, "à plat". Après quelques nouvelles courses, ce soir nous partons dormir au fond du val. Une petite heure de randonnée avec les gros sacs encore plus gros (avec les matelas, cette fois-ci), et nous nous installons à la malga de Pian della Stua.

Le ciel est morose, il a changé pendant l'après-midi... adieu le soleil et la chaleur quasi-estivale. Après avoir dîné, nous ne faisons pas de vieux os dans le noir quasiment total : au lit (très) tôt.
Mercredi 13.
« - AAAAAAAAAAAH ! »
Quésako ? Je me réveille en sursaut. Nous sommes toujours plongés dans le noir, il doit être encore très tôt. À côté de moi, Antoine assis dans son sac de couchage braque sa lampe torche sur la porte, entrou'verte...
« Scusa, scusa! Sono solo un cacciatore!... »
La blague. Réveillés par un chasseur... qui reniflait comme un sanglier, et ne poussait pas la porte bien franchement pour l'ouvrir : résultat, Antoine l'a pris pour... un sanglier. D'où le cri, pour effrayer la bestiole. En attendant, c'est moi (et un peu le chasseur sans doute) qui ait le coeur qui bat ! Le temps de sortir du sac de couchage, de passer un pull, des chaussures, et je pars discuter avec le gars. L'aube n'est pas encore là, le ciel n'est qu'à peine moins noir qu'en pleine nuit, et je ne distingue pas ses traits, mais il n'a pas l'air tout jeune. Il m'explique qu'il vient faire des repérages d'animaux présents sur les lieux - m'enfin, il a quand même un fusil de snipper, c'est sans doute pas juste pour repérer. Il dit qu'avec ses jumelles infra-rouge, il risque pas de nous prendre pour des chevreuils - me voilà presque rassurée, d'autant plus qu'il me demande de quel côté on partira ce matin... Il confirme qu'il y a cinq ou six loups qui rôdent habituellement dans la vallée.

Il repart rapidement, l'aube se lève : c'est son heure. Le temps étant gris, nous ne sommes pas pressés (surtout si un gars tend à canarder tout ce qui passe à côté), et nous retournons nous coucher pour quelques heures. Quand le jour est bien levé, nous aussi. Nous avons prévu de retourner à la voiture par... le haut. En remontant le pré du « Pian della Stua », nous apercevons le chasseur posté plus loin, en hauteur, jumelles vissées sur le nez. Nous sortons du pré par le torrent qui coule à son extrémité haute, et rejoignons par un sentier très raide, la mulatière officielle qui l'an dernier encore était inaccessible autrement. Et si nous tentions la descente par la mulatière malgré tout ? Au pire, si elle est encore éboulée, nous n'aurons qu'à faire demi-tour.
Finalement, ça passe : les éboulis à chaque traversée de torrent ont été légèrement réaménagés, c'est pas Byzance mais suffisant. Nous accédons ainsi à deux zones intéressantes dédiées à la cueillette : l'une peuplée de nombreux cumins sauvages, l'autre bien fleurie d'achillées millefeuilles, et bordée de framboisiers. Il ne restera plus qu'à mettre tout ça sous grappa dans la voiture.
À peine arrivés au parking, il se met à pleuvoir. Ce matin, nous avons envisagé de faire le marché et vu le temps, de prendre un peu de temps pour visiter les amis. Je contacte Aldo pour voir si on peut manger ensemble, mais il nous propose plutôt de prendre un verre au bar près de l'église d'Agordo. Il a l'air en pleine forme, et cela fait plaisir de le revoir ! À force de papoter, quand nous nous quittons, le marché est terminé. Quelques courses au Super W nous permettent de pique niquer au fond du val, à l'abri de la pluie dans Partner, puis de faire un petite balade en K-way - au cours de laquelle nous récupérons sur un arbre tombé au sol un panneau du sentier de VTT qui n'existe plus - à cause de Vaia, encore et toujours, Vaia.
Il pleut encore. Nous contactons Maria, qui nous propose de passer à nouveau la nuit chez elle : « notre » lit est toujours prêt. Super Maria ! Par contre, elle rentrera tard ce soir, et sa fille n'est pas franchement sociable. Au bout d'un moment, elle va visiblement aller se coucher avant que Maria ne rentre, et elle colle un post-it sur la porte de sa mère : « LES CHATS SONT À LA MAISON ». La bêtise est trop tentante, alors on ajoute un post-it qui dit : « LES FRANÇAIS SONT À LA MAISON », puis partons nous coucher.